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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/114

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pour l’espionner, André prit à droite, et commença de descendre vers Eyoub, marchant sous ces grands cyprès, aux ramures blanches comme les ossements secs, aux feuillages presque noirs.

Les pierres tombales en Turquie sont des espèces de bornes, coiffées de turbans ou de fleurs, qui de loin prennent vaguement l’aspect humain, qui ont l’air d’avoir une tête et des épaules ; aux premiers temps elles se tiennent debout, bien droites, mais les siècles, les tremblements de terre, les pluies viennent les déraciner ; elles s’inclinent alors en tous sens, s’appuient les unes contre les autres comme des mourantes, finissent par tomber sur l’herbe où elles restent couchées. Et ces très anciens cimetières, où André passait, avaient le morne désarroi des champs de bataille au lendemain de la défaite.

Presque personne en vue aujourd’hui, le long de cette muraille, dans ce vaste pays des morts. Il faisait trop froid. Un berger avec ses chèvres, une bande de chiens errants, deux ou trois vieilles mendiantes attendant quelque cortège funèbre pour avoir l’aumône, rien de plus, aucun regard à craindre. Mais les tombes, qui étaient par milliers, simulaient presque des foules, des foules de petits êtres grisâtres, penchés, défaillants. Et des corbeaux, qui sautillaient sur l’herbe, commençaient à jeter des cris, dans le vent d’hiver.

André se dirigeait au moyen d’alignements, pris par