Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

café, tenu par un humble bonhomme à barbe blanche. Les platanes alentour avaient à peine des feuilles dépliées ; mais la fraîche prairie était déjà si couverte de fleurs, et le ciel si beau, qu’on s’étonnait de ce vent glacé soufflant sans trêve, — le presque éternel vent de la Mer Noire, qui gâte tous les printemps de Constantinople ; ici, côté de l’Asie, on en était un peu abrité comme toujours ; mais en face il faisait rage, sur cette rive d’Europe que l’on apercevait là-bas au soleil, avec ses mille maisons les pieds dans l’eau.

Ils attendaient l’heure dans cette solitude, en fumant des narguilés de pauvre que le vieux Turc de céans leur avait servis, presque étonné et méfiant de ces deux beaux messieurs à chapeau, dans sa maisonnette pour bateliers ou bergers, à cette saison encore incertaine et par un vent pareil.

— C’est tellement gentil à vous, disait Jean Renaud, d’avoir accepté ma compagnie.

— Ne vous emballez pas sur la reconnaissance, mon petit. Je vous ai emmené, comprenez donc, c’est pour avoir à qui m’en prendre, si elle ne vient pas, si ça tourne mal, si…

— Oh ! alors il faut que je m’applique à ce que ça tourne bien ! — (Il disait cela en faisant l’effaré, avec un de ces sourires tout jeunes qui révélaient en lui une gentille âme d’enfant.) — Tenez, justement là-bas, derrière vous, je parie que c’est elle qui s’amène.