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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/142

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les glycines, sous les platanes; des narguilés par myriades, le long des rues, exhalaient leur fumée enjôleuse, et les hirondelles déliraient de joie autour des nids. Les vieux tombeaux, les grises coupoles, baignaient dans un calme sans nom, que l’on eût dit inaltérable, ne devant jamais finir. Et les lointains de la côte d’Asie ou de l’immobile Marmara, qu’on apercevait par échappées, resplendissaient.

André Lhéry se reprenait à l’Orient turc, avec plus de mélancolie encore peut-être qu’au temps de sa jeunesse, mais avec une aussi intime passion. Et, un jour qu’il était assis à l’ombre, parmi des centaines de rêveurs à turban, très loin de Péra et des agitations modernes, au centre même, au cœur fanatique du Vieux-Stamboul, Jean Renaud, maintenant son compagnon ordinaire de turquerie, lui demanda à brûle— pourpoint :

« Eh bien ! et les trois petits fantômes de Tchiboukli, plus de nouvelles ? »

C’était devant la mosquée de Mehmed-Fatih, sur une grande place des vieux siècles, où les Européens ne fréquentent jamais, et c’était au moment où les muezzins chantaient, comme juchés dans le ciel, tout au bout des gigantesques fuseaux de pierre que sont les minarets : voix presque lointaines, à force d’être au-dessus des choses terrestres, d’être perdues dans ces limpidités bleues d’en haut.