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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/167

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ce que nous avons déjà vécu avec vous, surtout elle, tenez ! Et jadis, dans son journal de jeune fille, écrit sous forme de lettre à votre intention, elle vous appelait André tout le temps.

— C’est un enfant terrible, monsieur Lhéry ; elle exagère beaucoup, je vous assure…

— Ah ! et la photo ! reprit Mélek, passant brusquement d’un sujet à un autre.

— Quelle photo ? demanda-t-il.

— Vous, avec Djénane. C’est comme chose irréalisable, vous comprenez, qu’elle a désiré l’avoir… Faisons vite, l’instant ne se retrouvera peut-être jamais plus… Mets-toi près de lui, Djénane.

Djénane, avec sa grâce languide, sa flexibilité harmonieuse, se leva pour s’approcher.

— Savez-vous à quoi vous ressemblez ? lui dit André. À une élégie, dans tout ce noir qui est léger et qui traîne… et avec la tête penchée, comme je vous vois là, parmi ces tombes.

Dans sa voix même, il y avait de l’élégie, dès qu’elle prononçait une phrase un peu mélancolique ; le timbre en était musical, infiniment doux, et pourtant brisé et comme lointain.

Mais cette petite élégie vivante pouvait tout à coup devenir très gaie, moqueuse, et faire des réflexions impayables ; on la sentait capable d’enfantillage et de fou rire.