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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/168

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Près d’André, elle se posait gravement, sans faire mine de relever ses voiles :

— Comment, mais vous allez rester ainsi, toute noire, sans visage ?

— Bien entendu ! En silhouette. Les âmes, vous savez, n’ont pas besoin d’avoir une figure…

Et Mélek, retirant, de dessous son tcharchaf d’austère musulmane, un petit kodak du tout dernier système, les mit en joue : tac ! une première épreuve ; tac ! une seconde…

Ils ne se doutaient pas combien, plus tard, par la suite imprévue des jours, elles leur deviendraient chères et douloureuses, ces vagues petites images, prises en s’amusant, dans un tel lieu, à un instant où il y avait fête de soleil et de renouveau…

Par précaution, Mélek allait prendre un cliché de plus, quand ils aperçurent une paire de grosses moustaches sous un bonnet rouge, qui surgissaient tout près d’eux, derrière des stèles : un passant, stupéfait d’entendre parler une langue inconnue et de voir des Turcs faire des photographies dans un saint cimetière.

Pourtant il s’en alla sans protester, mais avec un air de dire : Attendez un peu, je reviens ; on va éclaircir cette affaire-là… Comme la première fois, le rendez-vous finit donc par une fuite des trois gentils fantômes, une fuite éperdue. Et il était temps, car, au bas de la colline, ce personnage ameutait du monde.