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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/170

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s’incendier, et même le banal Péra, perché tout en haut et enveloppé de rayons couleur de cuivre, jouait son rôle dans cet émerveillement des fins de jour. Il n’y a guère d’autre ville au monde, qui arrive à se magnifier ainsi, dans les lointains et les éclairages propices, pour produire tout à coup grand spectacle et apothéose.

Pour André Lhéry, ces trajets en caïque le long de la berge, dans l’ombre de Stamboul, avaient été presque quotidiens jadis, quand il habitait au bout de la Corne-d’Or. En ce moment, il lui semblait que c’était hier, ce temps-là ; l’intervalle de vingt-cinq années n’existait plus ; il se rappelait jusqu’à d’insignifiantes choses, des détails oubliés, il avait peine à croire qu’en rebroussant chemin vers Eyoub, il ne retrouverait pas à la place ancienne sa maison clandestine, les visages autrefois connus. Et, sans s’expliquer pourquoi, il associait un peu l’humble petite Circassienne, qui dormait sous sa stèle tombée, à cette Djénane apparue si nouvellement dans sa vie ; il avait presque le sentiment sacrilège que celle-ci était une continuation de celle-là, et, à cette heure magique où tout était bien-être et beauté, enchantement et oubli, il n’éprouvait aucun remords de les confondre un peu… Que lui voulaient-elles, les trois petites Turques d’aujourd’hui ? Comment finirait ce jeu qui le charmait et qui était plein de périls ? Elles n’avaient