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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/18

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qui se croyait généralement la seule au monde assez audacieuse pour une telle démarche, ne manquait jamais de dire : « Mon âme est une petite sœur de la vôtre ; personne, je puis vous le certifier, ne vous a jamais compris comme moi. » Ici, André ne souriait pas, malgré le manque d’imprévu d’une pareille affirmation ; il était touché, au contraire. Et, du reste, la conscience qu’il prenait de son empire sur tant de créatures, éparses et à jamais lointaines, la conscience de sa part de responsabilité dans leur évolution, le rendait souvent songeur.

Et puis, il y en avait, parmi ces lettres, de si spontanées, si confiantes, véritables cris d’appel, lancés comme vers un grand frère qui ne peut manquer d’entendre et de compatir ! Celles-là, André Lhéry les mettait de côté, après avoir jeté au panier les prétentieuses et les banales ; il les gardait avec la ferme intention d’y répondre. Mais, le plus souvent, hélas ! le temps manquait, et les pauvres lettres s’entassaient, pour être noyées bientôt sous le flot des suivantes et finir dans l’oubli.

Le courrier de ce matin en contenait une timbrée de Turquie, avec un cachet de la poste où se lisait, net et clair, ce nom toujours troublant pour André : Stamboul.

Stamboul ! Dans ce seul mot, quel sortilège évocateur !… Avant de déchirer l’enveloppe de celle-ci, qui pouvait