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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/19

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fort bien être tout à fait quelconque, André s’arrêta, traversé soudain par ce frisson, toujours le même et d’ordre essentiellement inexprimable, qu’il avait éprouvé chaque fois que Stamboul s’évoquait à l’improviste au fond de sa mémoire, après des jours d’oubli. Et, comme déjà si souvent en rêve, une silhouette de ville s’esquissa devant ses yeux qui avaient vu toute la terre, qui avaient contemplé l’infinie diversité du monde : la ville des minarets et des dômes, la majestueuse et l’unique, l’incomparable encore dans sa décrépitude sans retour, profilée hautement sur le ciel, avec le cercle bleu de la Marmara fermant l’horizon….

Une quinzaine d’années auparavant, il avait compté, parmi ses correspondantes inconnues, quelques belles désœuvrées des harems turcs ; les unes lui en voulaient, les autres l’aimaient avec remords pour avoir conté dans un livre de prime jeunesse son aventure avec une de leurs humbles sœurs, elles lui envoyaient clandestinement des pages intimes en un français incorrect, mais souvent adorable ; ensuite, après l’échange de quelques lettres, elles se taisaient et retombaient dans l’inviolable mystère, confuses à la réflexion de ce qu’elles venaient d’oser comme si c’eût été péché mortel.

Il déchira enfin l’enveloppe timbrée du cher là-bas, —et le contenu d’abord lui fit hausser les épaules : ah !