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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/233

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like. » Il ne me demandait que d’être jolie et amoureuse… Il me le demanda tant, qu’il me le demanda trop…

Une qui devait savoir l’être, amoureuse, c’était Durdané ! Dans la famille, on l’admirait pour sa grâce, — une grâce de jeune panthère qui faisait ondoyer tous ses mouvements. Elle dansait le soir, jouait du luth ; elle parlait à peine, mais souriait toujours, d’un sourire à la fois prometteur et cruel, qui découvrait ses petites dents pointues.

Souvent elle entrait chez moi, pour me tenir compagnie, soi-disant. Oh ! le dédain qu’elle affichait alors pour mes livres, mon piano, mes cahiers et mes lettres ! Loin de tout cela elle m’entraînait toujours, dans l’un des salons à la turque, pour s’étendre sur un divan et fumer des cigarettes, en jouant avec un éternel miroir. À elle, qui avait été mariée et qui était jeune, je pouvais, croyais-je, dire mes peines. Mais elle ouvrait ses grands yeux d’eau et éclatait de rire : « De quoi peux-tu te plaindre ? Tu es jeune, jolie, et tu as un mari que tu finis par aimer ! — Non, répondais-je, il n’est pas à moi, puisque je n’ai rien de sa pensée. — Que t’importe sa pensée ? Tu l’as, lui, et tu l’as à toi seule ! » Elle appuyait sur ces derniers mots, les yeux mauvais.

Un vrai chagrin pour la mère de Hamdi était que je n’eusse pas d’enfant au bout d’une année de mariage ; certes, disait-elle, on m’avait jeté un sort. Et je refusais de me laisser conduire aux sources, aux mosquées et vers les derviches réputés pour conjurer de tels maléfices : un enfant, non, je n’en voulais point. Si par malheur il nous était né une petite fille, comment l’aurais-je élevée ? En Orientale, comme Durdané, sans autre but dans la vie que les chansons et les caresses ? Ou bien comme nous l’avions été, Zeyneb, Mélek et moi-même, et ainsi la condamner à cruellement souffrir ?

Voyez-vous, André, je le sais bien, qu’elle est inévitable,