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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/254

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Que m’importait cette femme, au point où nous en étions ? D’ailleurs Hamdi ne l’aimait plus et ne voulait que moi. Mais elle était le prétexte qu’il fallait saisir, l’occasion qu’il ne fallait perdre à aucun prix. Pour abréger, par horreur des scènes et plus encore par crainte de Hamdi qui s’affolerait, je fis séance tenante ma demi-soumission. À genoux devant cette mère qui pleurait, je demandai seulement, et j’obtins, d’aller passer deux mois de retraite à Khassim-Pacha, dans ma chambre de jeune fille ; j’avais besoin de cela, disais-je, pour me résigner ; ensuite je reviendrais.

Et j’étais partie avant que Hamdi ne fût rentré d’Yldiz.

C’est à ce moment-là, André, que vous arriviez à Constantinople. Les deux mois expirés, mon mari, bien entendu, voulut me reprendre : je lui fis dire qu’il ne m’aurait pas vivante, le petit flacon d’argent ne me quitta plus, et ce fut une lutte atroce, jusqu’au jour où Sa Majesté le Sultan daigna signer l’iradé qui me rendit libre.

Vous avouerai-je que j’ai souffert encore, les premières semaines. Contre mon attente, l’image de cet homme, ses baisers que j’avais trop aimés et trop haïs, devaient continuer quelque temps de me poursuivre.

Aujourd’hui tout s’apaise. Je lui ai pardonné d’avoir fait de moi presque une courtisane ; il ne m’inspire plus ni le désir ni haine ; c’est fini. Un peu de honte me reste pour avoir cru rencontrer l’amour parce qu’un joli garçon me serrait dans ses bras. Mais j’ai reconquis ma dignité, j’ai retrouvé mon âme et repris mon essor.

Maintenant, répondez-moi, André, que je sache si vous me comprenez, ou bien si, comme tant d’autres, vous me tenez pour une pauvre petite déséquilibrée, en quête de l’impossible. DJÉNANE.