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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/253

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simplement, quand nous fûmes seules. Émiré Hanum me fit asseoir près d’elle en me tenant les mains, hésita avant de répondre, et je vis des larmes couler sur ses rides : cette Durdané allait avoir un enfant, et il fallait que mon mari l’épousât ; une femme de leur famille ne pouvait être mère sans être épousée, et d’ailleurs une enfant de Hamdi avait de droit sa place dans la maison.

Elle me disait cela en pleurant et m’avait prise dans ses bras. Mais avec quelle tranquillité je l’écoutais ! C’était la délivrance au contraire qui venait à moi, quand je me croyais perdue ! Et je répondis aussitôt que je comprenais tout cela très bien, que Hamdi était libre, que j’étais prête à divorcer sur l’heure sans en vouloir à personne.

— Divorcer ! reprit-elle, avec une explosion de larmes. Divorcer ! Tu veux divorcer ! Mais mon fils t’adore. Mais nous t’aimons tous, ici ! Mais tu es la joie de nos yeux !

Pauvre femme, en quittant cette maison, elle est la seule que j’aie regrettée… Pour me retenir, elle commença de me citer l’exemple des épouses de son temps, qui savaient être heureuses dans des situations semblables. Elle-même, n’avait-elle pas eu à partager l’amour du pacha avec d’autres ? Dès qu’avait pâli sa beauté, n’avait-elle pas vu une, deux, trois jeunes femmes se succéder au harem ? Elle les appelait ses sœurs ; jamais aucune ne lui avait manqué d’égards, et c’était toujours à elle-même que revenait le pacha quand il avait une confidence à faire, un avis à demander, ou bien quand il se sentait malade. De tout cela avait-elle souffert ? À peine, puisqu’elle ne se souvenait plus que d’un seul chagrin dans sa vie : c’était quand mourut la petite Sahida, la dernière de ses rivales, en lui confiant son bébé ! Oui, le plus jeune frère d’Hamdi, le petit Férid n’était pas son propre fils à elle, mais le fils de la pauvre Sahida ; c’est du reste à cette heure que je l’apprenais…

Durdané devait faire le lendemain sa rentrée dans le