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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/276

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espacés dans le lointain. Elles s’en allaient, les trois petites audacieuses, d’un pas harmonieux et lent, Zeyneb et Mélek drapées de soies à peine teintées, presque blanches, marchant de chaque côté de Djénane toujours en élégie noire ; leurs vêtements traînaient sur la pelouse exquise, sur l’herbe courte et fine, froissant les fleurs violettes des colchiques, promenant les feuilles jaune d’or tombées déjà des platanes. Elles ressemblaient bien à trois ombres élyséennes, traversant la vallée du grand repos ; celle du milieu, celle en deuil, étant sans doute une ombre encore inconsolée de l’amour terrestre…

Il les perdit de vue quand elles arrivèrent sous les grands platanes, dans le bois sacré qui est à l’autre bout de cette plaine fermée. Le soleil descendait derrière les collines, disparaissait lentement de cet éden ; le ciel prenait sa limpidité verte des beaux soirs d’été et les tout petits nuages, qui le traversaient en queues de chat, ressemblaient à des flammes orangées. Les autres ombres heureuses qui étaient restées longtemps assises, çà et là, sur l’herbe fleurie de colchiques, se levaient toutes pour s’en aller aussi, mais bien doucement comme il sied à des ombres. Les flûtes des bergers dans le lointain commençaient leur musiquette du temps passé pour faire rentrer les chèvres. Et tout ce lieu se préparait à devenir infiniment solitaire, au pied de ces grands bois, sous une nuit d’étoiles.