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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/275

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compliquée, si frottée de toutes les littératures : avec cela, inégale, à la fois soumise et altière, nhésitant pas, par moments, à se livrer avec une confiance presque déconcertante, et puis rentrant aussitôt après dans sa tour divoire pour y redevenir encore plus lointaine.

"Celle-là, songeait André, je ne démêle ni ce quelle me veut, ni pourquoi elle m’est déjà chère ; on dirait parfois qu’il y ait entre nous des ressouvenirs en commun don ne sait quel passé… Je ne commencerai à la déchiffrer que le jour où jaurai vu enfin quels yeux elle peut bien avoir ; mais jai peur quelle ne me les montre jamais.

Il fallut redescendre de bonne heure vers la plaine de Béicos pour leur laisser le temps de rassembler leurs esclaves et de rentrer avant la nuit. Ils se replongèrent donc bientôt dans les sentiers du bois, et elles voulurent quAndré leur donnât lui-même à chacune un brin de ces bruyères qui faisaient la montagne toute rose ; cétait pour le mettre à leur corsage ce soir, par bravade enfantine, pendant le dîner en compagnie des aïeules et des vieux ondes rigides.

En arrivant à la plaine, il les quitta par prudence, mais les suivit des yeux, marchant un peu loin derrière elles. Peu de monde aujourdhui, dans cette Vallée-du-Grand-Seigneur où le soleil prenait déjà ses nuances dorées du soir ; seulement quelques femmes, la tête voilée de blanc, assises par terre, en groupes espacés