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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/293

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Au retour, en se quittant, elles sembrassent encore, et échangent ces éternelles phrases de femmes turques entre elles:

« Allons, pas de chimères, pas de regrets vains. Réagissez ! »

Cependant cela les fait sourire elles-mêmes, tant le conseil en connu et usé.

La visiteuse est donc partie. C’est le soir. On allume de très bonne heure, car la nuit tombe plus tôt dans les harems, à cause de ces quadrillages de bois aux fenêtres. Votre nouveau fantôme noir dhier, monsieur Lhéry, se retrouve seul. Mais voici le bey qui rentre, le maître annoncé par un bruit de sabre dans lescalier. La pauvre petite dame de céans a encore plus froid à lâme. Par habitude, elle se regarde dans une glace; limage reflétée lui parait vraiment bien jolie, et elle pense : « Toute cette beauté, pour lui, quel dommage ! »

Lui, insolemment étendu sur une pile de coussins, commence une histoire :

"Vous savez, ma chère, aujourdhui au palais….

Oui, le palais, les camarades et les fusils, les nouvelles armes, c’est tout ce qui lintéresse ; rien de plus, jamais.

Elle nécoute pas, elle a envie de pleurer. Alors, on la traite de « détraquée ».

Elle demande la permission de se retirer dans sa chambre, et bientôt elle pleure à sanglots, la tête sur son oreiller de soie, lamé dor et dargent, pendant que les Européennes, à Péra, vont au bal ou au théâtre, sont belles et aimées, sous des flots de lumière…