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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/304

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stupéfiant défi au danger. Et on sentait, autour de cette réunion défendue, la tristesse attentive d’un Stamboul enveloppé dans la brume d’hiver, la muette réprobation d’un quartier plein de mosquées et de tombeaux.

Elles s’amusèrent à le traiter comme un pacha, et dansèrent devant lui, — une danse des grand’grand’mères dans les plaines de Karadjiamir, une danse très chaste et très lente, avec des gestes de bras nus, une pastorale d’Asie, que leur jouait sur un luth, dans l’ombre au fond de la salle, une des femmes voilées. Souples, vives et faussement languissantes, elles étaient redevenues, sous ces costumes, de pures Orientales, ces trois petites extra-cultivées, à l’âme si inquiète, qui avaient médité Kant et Schopenhauer.

— Pourquoi n’êtes-vous pas gai aujourd’hui ? demanda Djénane tout bas à André. Cela vous ennuie, ce que nous avions imaginé pour vous ?

— Mais vous me ravissez au contraire ; mais je ne verrai jamais rien d’aussi rare et d’aussi délicieux. Non, ce qui m’attriste, je vous le dirai quand les dames noires seront parties ; si cela vous rend songeuse peut-être, au moins je suis sûr que cela ne vous fera pas de peine.

Les dames noires ne restèrent qu’un moment. Parmi ces invisibles, — qui étaient toutes des révoltées, il va sans dire, — André reconnut à leur voix,