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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/311

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Turcs, qui commence ce soir ; pas eu moyen de les retenir…

Ah ! il avait oublié en effet ; on était au 8 novembre, qui correspondait cette année avec l’ouverture de ce mois de Ramazan, pendant lequel il y a jeûne austère tous les jours, mais naïves réjouissances et illuminations toutes les nuits. Il alla donc à une de ses fenêtres qui regardaient Stamboul, pour savoir si la grande féerie qu’il avait connue dans sa jeunesse, un quart de siècle auparavant, se jouait encore en l’an 1322 de l’hégire. — Oui, c’était bien cela, rien n’avait changé ; l’incomparable silhouette de ville, là-bas, dans l’imprécision nocturne, commençait de briller sur plusieurs points, s’illuminait rapidement partout à la fois. Tous les minarets, qui venaient d’allumer leurs doubles ou triples couronnes lumineuses, ressemblaient à de gigantesques fuseaux d’ombre, portant, à différentes hauteurs dans l’air, des bagues de feu. Et des inscriptions arabes, au-dessus des mosquées, se traçaient dans le vide, si grandes et soutenues par de si invisibles fils que, dans ce lointain et cette brume, on les eût dites composées avec des étoiles, comme les constellations. Alors il se rappela que Stamboul, la ville du silence tout le reste de l’année, était, pendant les nuits du Ramazan, plein de musiques, de chants et de danses ; parmi ces foules, il est vrai, on n’apercevrait point les femmes, même pas sous leur