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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/318

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aussi, comme des fées du souvenir ramenées auprès de cette pauvre petite sépulture longtemps abandonnée ; —et lui-même y était avec elles, en intime communion de respect et de pitié.

Quand elles eurent fini de réciter la « fathia », elles sapprochèrent pour lire linscription brillante. Dabord la poésie arabe, qui commençait sur le haut de la stèle, pour descendre, en lignes inclinées, vers la terre. Ensuite, tout au bas, le nom et la date : « Une prière pour lâme de Nedjibé Hanum, fille de Ali-Djianghir Effendi, morte le 18 Chabaan 1297. » Les Circassiens, contrairement aux Turcs, ont un nom patronymique, ou plutôt un nom de tribu. Et Djénane apprit là, avec une émotion intime, le nom de la famille de Nedjibé :

« Mais, dit-elle, les Djianghir habitent mon village ! Jadis ils sont venus du Caucase avec mes ancêtres, voici deux cents ans qu’ils vivent près de nous ! »

Cela expliquait mieux encore leur ressemblance, bien étonnante pour nêtre quun signe de race ; sans doute étaient-elles du même sang, de par la fantaisie de quelque prince dautrefois. Et quel mystérieux aïeul, depuis longtemps en poussière, avait légué, à travers qui sait combien de générations, à deux jeunes femmes de caste si différente, ces yeux persistants, ces yeux rares et admirables ?…

Il faisait un froid mortel aujourdhui dans ce cimetière,