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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/340

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d’hiver ; on eût dit une coulée d’argent qui se refroidit. Et ces montagnes, tout là-bas, avaient déjà leurs neiges éblouissantes.

En montant sur la petite falaise, on n’apercevait âme qui vive, dans la plaine un peu nue et désolée qui s’étendait alentour. Donc, ayant relevé leur voile jusqu’aux cheveux, toutes trois se grisaient d’air pur ; jamais encore André n’avait vu au soleil, au grand air, leurs si jeunes visages, un peu pâlis ; jamais encore ils ne s’étaient sentis tous dans une si complète sécurité ensemble, —malgré les risques fous de l’entreprise, et les périls du retour, ce soir.

D’abord, elles s’assirent par terre, pour manger des bonbons achetés en passant chez le confiseur en vogue de Stamboul. Et ensuite elles passèrent en revue tous les recoins de la gentille baie, devenue leur domaine clandestin pour l’après-midi. Un étonnant concours de circonstances, et de volontés, et d’audaces, avait réuni là, —par cette journée de décembre si étrangement ensoleillée, presque inquiétante d’être si belle et d’être si furtive entre deux crises du vent de Russie, —ces hôtes qui lui arrivaient de mondes très différents et qui semblaient voués par leur destinée première à ne se rencontrer jamais. Et André, en regardant les yeux, le sourire de cette Djénane, qui allait repartir après-demain pour son palais de Macédoine, appréciait tout ce que l’instant avait de rare