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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/341

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et de non retrouvable ; les impossibilités qu’il avait fallu déjouer pour se réunir là, devant la pâleur hivernale de cette mer, les impossibilités reparaîtraient encore demain et toujours ; qui sait ? on ne se reverrait peut-être même jamais plus, au moins avec tant de confiance et le cœur si léger ; c’était donc une heure dans la vie à noter, à graver, à défendre, autant que faire se pourrait, contre un trop rapide oubli…

À tour de rôle, un d’eux montait sur la minuscule falaise, pour signaler les dangers de plus loin. Et une fois, la dame du guet, qui était Zeyneb, annonça un Turc arrivant le long de la mer, en compagnie lui aussi de trois dames au voile relevé. Elles jugèrent que ce n’était pas dangereux, qu’on pouvait affronter la rencontre ; seulement elles rabattirent pour un temps les gazes noires sur leur visage. Quand le Turc passa, sans doute quelque bey authentique promenant les dames de son harem, celles-ci avaient également baissé leur voile, à cause d’André ; mais les deux hommes se regardèrent distraitement, sans méfiance d’un côté ni de l’autre ; l’inconnu n’avait pas hésité à prendre ces gens rencontrés dans cette baie pour les membres d’une même famille.

Des petits cailloux tout plats, comme taillés à souhait, que le flot tranquille de la Marmara avait soigneusement rangés en ligne sur le sable, rappelèrent