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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/353

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amour d’une musulmane pour un étranger n’a d’autre issue que la fuite ou la mort. »

Mais le lendemain, par un beau temps presque déjà printanier, tout lui sembla beaucoup moins sérieux. Comme l’autre fois, il se dit qu’il y avait peut-être pas mal de « littérature » dans cette lettre, et surtout de l’exagération orientale. Depuis quelques années du reste, pour lui faire entendre qu’on l’aimait, il fallait de lui prouver jusqu’à l’évidence, —tant le chiffre de son âge lui était constamment présent à l’esprit, en obsession cruelle…

Et, le cœur plus léger qu’hier, il se rendit à Stamboul, à Sultan— Selim, où l’attendaient Zeyneb et Mélek qu’il lui tardait de revoir. Stamboul, toujours diversement superbe dans le lointain, était ce jour— là pitoyable à voir de près, sous l’humidité et la boue des grands dégels, et l’impasse où s’ouvrait la maisonnette des rendez-vous, avait des plaques de neige encore, le long des murs à l’ombre.

Dans l’humble petit harem, où il faisait froid, elles le reçurent le voile relevé, confiantes et affectueuses, comme on reçoit un grand frère qui revient de voyage. Et tout de suite, il fut frappé de l’altération de leurs traits. Le visage de Zeyneb, qui restait toujours la finesse et la perfection mêmes, avait pris une pâleur de cire, les yeux s’étaient agrandis et les lèvres décolorées :