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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/360

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En outre, les surveillances avaient redoublé cette année, autour de toutes les femmes en général, — et peut-être en particulier autour de celles-là, que l’on soupçonnait (oh ! très vaguement encore) d’allées et venues illicites. Elles écrivaient beaucoup à leur ami, qui pourtant les aimait bien, mais se contentait parfois de répondre en esprit, d’intention seulement. Et alors elles lui faisaient des reproches, — et si discrets :


Khassim-Pacha, le 8 mai 1905.

Cher ami, qu’y a-t-il ? Nous sommes inquiètes, nous vos pauvres amies lointaines et humbles. Quand des jours se passent ainsi sans des lettres de vous, un lourd manteau de tristesse nous écrase les épaules, et tout devient terne, et la mer, et le ciel, et nos cœurs.

Nous ne nous plaignons pas pourtant, je vous assure, et ceci n’est que pour vous redire encore une fois une chose déjà vieille et que vous savez du reste, c’est que vous êtes notre grand et seul ami.

Êtes-vous heureux dans ce moment ? Vos jours ont-ils des fleurs ?

Suivant ce que nous offre la vie, le temps passe vite ou il se traîne. Pour nous, c’est se traîner qu’il fait. Je ne sais vraiment pourquoi nous sommes là, dans ce monde ?… Mais peut-être bien pour l’unique joie d’être vos esclaves très dévouées, très fidèles, jusqu’à la mort et au delà…

ZEYNEB ET MÉLEK.


Déjà le 8 mai !… Il lut cette lettre à sa fenêtre, par un long crépuscule tiède qui invitait à s’attarder là, devant l’immense déploiement des lointains et du ciel.