Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne les aurait trahies ni pour or ni pour argent. Elles aussi l’aimaient bien ; il était pour ainsi dire quelqu’un de la famille. « Nous l’avons soigné, écrivait-elle, soigné comme un grand-père. » Mais ce dernier mot avait été effacé après coup, et à la place, on lisait, au-dessus, de l’écriture moqueuse de Mélek : « grand-oncle !… »

Le vendredi suivant, il alla donc aux Eaux-Douces, pour la première fois de la saison, et dans son équipage aux couleurs plus étranges que l’an passé. Il y croisa et recroisa ses deux amies, qui avaient changé aussi leur livrée bleue pour du vert et or, et qui étaient en tcharchaf noir, voile semi-transparent, mais baissé sur le visage. D’autres belles dames, aussi très voilées de noir, tournaient la tête pour le regarder, — des dames qui passaient comme étendues sur cette eau aujourd’hui si encombrée d’énigmatiques promeneuses, entre ses rives de fougères et de fleurs : presque toutes ces invisibles s’occupaient de lui, pour avoir lu ses livres, le connaissaient, pour se l’être fait montrer par d’autres ; peut-être même, avec quelques-unes d’entre elles, avait-il causé l’automne dernier, sans voir leur visage, pendant ses aventureuses visites à ses petites amies. Il cueillait çà et là un regard attentif, un gentil sourire, à peine perceptible sous les épaisses gazes noires. Et puis aussi elles approuvaient l’assemblage de couleurs qu’il avait ima-