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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/365

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voir l’effet sur l’eau. En ce moment, elle était un miroir imperceptiblement ondulé, cette eau du Bosphore, d’habitude plutôt remuante. Paix infinie dans l’air, fête de juin et de matin dans les verdures des deux rives. André fut content de l’essayage, s’amusa les yeux avec le contraste de ce bonhomme, bleu et argenté, trônant sur ce velours jaune sombre, —dont les broderies dorées reproduisaient un vieux poème arabe consacré à la perfidie de l’amour. Et puis il s’étendit dans le caïque, pour aller faire un tour jusqu’en Asie, avant l’ardeur du soleil méridien.

Le soir, il reçut une lettre de Zeyneb, qui lui donnait rendez-vous au prochain jour des Eaux-Douces, rien que pour se croiser en caïque, bien entendu. Tout devenait plus dangereux, disait-elle, la surveillance était redoublée ; on venait aussi de leur interdire de se promener le long de la côte, comme l’an passé dans cette barque légère, où elles ramaient elles-mêmes en voile de mousseline. Par ailleurs, jamais aucune amertume dans ses plaintes, à Zeyneb ; elle était une trop douce créature pour s’irriter, et puis aussi trop lasse et tellement résignée à tout, avec cette bonne et prochaine mort, qu’elle avait accueillie dans sa poitrine… En post-scriptum elle racontait que le pauvre vieux Mevlut (eunuque d’Éthiopie) venait de se laisser mourir, dans sa quatre-vingt— troisième année ; et c’était un vrai malheur, car il les chérissait, les ayant élevées, et