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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/432

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soulève brusquement son voile. Djénane !… Djénane qui a voulu être vue ; Djénane qui le regarde, la durée d’une seconde, avec une de ces expressions d’angoisse qui ne peuvent plus s’oublier jamais…

Ses yeux resplendissaient au milieu de ses larmes ; mais déjà ils n’y sont plus… Le voile est retombé, et cette fois André a senti que c’était quelque chose de définitif et d’éternel, comme lorsqu’on vous cache une figure aimée sous le couvercle d’un cercueil… Elle ne s’est point penchée à la portière, elle n’a pas fait un adieu de la main, pas un signe ; rien que ce regard, qui suffisait du reste pour mettre une femme turque en danger grave. Et maintenant le coupé de louage continue lentement sa marche, il s’éloigne à travers la foule pressée…

Cependant ce regard-là vient de pénétrer plus avant dans le cœur d’André que toutes les paroles et toutes les lettres. Sur le quai, ces groupes de gens, qui lui disent adieu de la main ou du chapeau, n’existent plus pour lui ; il n’y a au monde à présent que cette voiture là-bas, qui s’en retourne lentement vers un harem. Et ses yeux, qui voudraient au moins la suivre, tout à coup s’embrument, voient les choses comme oscillantes et troubles…

Mais quoi ? alors, c’est qu’il rêve ! La voiture, qui cheminait toujours au pas, on dirait qu’elle s’éloigne rapidement quand même, et dans un sens différent de