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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/50

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était sans recours, et son effroi, sa rébellion allaient croissant.

Elle s’assit devant son bureau, où la bougie fut rallumée pour communiquer son feu à tant de mystérieuses petites lettres qui dormaient dans les tiroirs de laque blanche ; lettres de ses amies mariées d’hier ou bien tremblant de se marier demain ; lettres en turc, en français, en allemand, en anglais, toutes criant la révolte, et toutes empoisonnées de ce grand pessimisme qui, de nos jours, ravage les harems de la Turquie. Parfois elle relisait un passage, hésitait tristement, et puis, quand même, approchait le feuillet de la petite flamme pâle, que l’on voyait à peine luire, à cause du soleil. Et tout cela, toutes les pensées secrètes des belles jeunes femmes, leurs indignations refrénées, leurs plaintes vaines, tout cela faisait de la cendre, qui s’amassait et se confondait dans un brasero de cuivre, seul meuble oriental de la chambre.

Les tiroirs vidés, les confidences anéanties, restait devant elle un grand buvard à fermoir d’or, qui était bondé de cahiers écrits en français… Brûler cela aussi ?… Non, elle n’en sentait vraiment plus le courage. C’était toute sa vie de jeune fille, c’était son journal intime commencé le jour de ses treize ans, —le jour funèbre où elle avait pris le tcharchaf (pour employer une locution de là-bas), c’est— à-dire le jour où