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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/51

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il avait fallu pour jamais cacher son visage au monde, se cloîtrer, devenir l’un des innombrables fantômes noirs de Constantinople.

Rien d’antérieur à la prise de voile n’était noté dans ce journal. Rien de son enfance de petite princesse barbare, là-bas, au fond des plaines de Circassie, dans le territoire perdu où, depuis deux siècles, régnait sa famille. Rien non plus de son existence de petite fille mondaine, quand, vers sa onzième année, son père était venu s’établir avec elle à Constantinople, où il avait reçu de Sa Majesté le Sultan le titre de maréchal de la Cour ; cette période-là avait été toute d’étonnements et d’acclimatation élégante, avec en outre des leçons à apprendre et des devoirs à faire ; pendant deux ans, on l’avait vue à des fêtes, à des parties de tennis, à des sauteries d’ambassade ; avec les plus difficiles danseurs de la colonie européenne, elle avait valsé tout comme une grande jeune fille, très invitée, son carnet toujours plein, elle charmait par son délicieux petit visage, par sa grâce, par son luxe, et aussi par cet air qu’aucune autre n’eût imité, cet air à la fois vindicatif et doux, à la fois très timide et très hautain. Et puis, un beau jour, à un bal donné par l’ambassade anglaise pour les tout jeunes, on avait demandé : « Ou est-elle, la petite Circassienne ? » Et des gens du pays avaient simplement répondu : « Ah ! vous ne saviez pas ? Elle vient de prendre le tcharchaf. » — (Elle a pris