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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/56

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tous les jeunes gens du village, laissaient leurs travaux et partaient à cheval à travers la plaine. Mon père, ancien soldat, se mettait à leur tête et les menait comme pour une charge. C’était à l’heure dorée où le soleil va s’endormir. Quand j’étais petite, l’un d’eux me prenait sur sa selle ; alors je m’enivrais de cette vitesse, et de cette passion qui tout le jour était sourdement montée de la terre en feu pour éclater le soir dans le bruit des armes et dans les chants sauvages. L’heure ensuite changeait sa nuance; elle semblait devenue l’heure pourpre des soirs de bataille…, et les cavaliers jetaient au vent des chants de guerre. Puis elle devenait l’heure rose et opaline…"

………………………………..

Elle en était à cette heure « opaline », se demandant si le mot ne serait pas trop précieux pour plaire à André, quand brusquement Kondja-Gul, malgré la défense, fit irruption dans sa chambre.

"Il est là, maîtresse ! Il est là !…

— Il est là, qui ?

— Lui, le jeune bey !… Il était venu causer avec le pacha, votre père, et il va sortir. Vite, courez à votre fenêtre, vous le verrez remonter à cheval ! "

À quoi la petite princesse répondit sans bouger, avec une tranquillité glaciale dont la bonne Kondja-Gul demeura comme anéantie :

« Et c’est pour ça que tu me déranges ? Je le verrai toujours trop tôt, celui-là ! Sans compter que j’aurai jusqu’à ma vieillesse pour le revoir à discrétion ! »