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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/60

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d’avril, qui lui semblait le dernier de sa vie. Et elle sonna Kondja-Gul, pour faire donner le signal qu’exigeait sa venue : aux jardiniers, cochers, domestiques mâles quelconques, ordre de disparaître des allées pour ne point profaner par leurs regards la petite déesse, qui entendait se promener là sans voile…

Mais non, réflexion faite, elle ne descendait pas ; car il y aurait toujours la rencontre possible des eunuques, des servantes, tous avec leurs sourires de circonstance à la mariée, et elle serait dans l’obligation, devant eux, d’avoir l’air ravi, puisque l’étiquette l’exige en pareil cas. Et puis, l’exaspération de voir ces préparatifs de fête, ces tables dressées sous les branches, ces beaux tapis jetés sur la terre…

Alors, elle se réfugia dans un petit salon, voisin de sa chambre, où elle avait son piano d’Érard. À la musique aussi, il fallait dire adieu, puisque, de piano, il n’y en aurait point, dans sa nouvelle demeure. La mère du jeune bey, — une 1320[1], ainsi que les dames vieux jeu sont désignées, par les petites fleurs de culture intensive écloses dans la Turquie moderne, — une pure 1320 avait, non sans défiance, permis la bibliothèque de livres nouveaux en langue occidentale, et les revues à images ; mais le piano l’avait visi-

  1. Autrement dit une personne qui n’admet que les dates de l’hégire, au lieu d’employer le calendrier européen.