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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/67

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pleuraient les larmes de la grande séparation, comme si l’une d’elles allait mourir…

Mélek et Zeyneb, bien entendu, ne rentreraient pas ce soir chez elles, mais coucheraient ici, chez leur cousine, comme c’est l’usage quand on se visite à la tombée de la nuit, et comme elles l’avaient déjà fait constamment depuis une dizaine d’années. Toujours ensemble, les trois jeunes filles, comme d’inséparables sœurs, elles s’étaient habituées à dormir le plus souvent de compagnie, chez l’une ou chez l’autre, et surtout ici, chez la Circassienne.

Mais cette fois, quand les esclaves, sans même demander les ordres, eurent achevé d’étendre sur les tapis les matelas de soie des invitées, toutes trois, demeurées seules, eurent le sentiment d’être réunies pour une veillée funéraire. Elles avaient demandé et obtenu la permission de ne pas descendre se mettre à table, et un nègre imberbe, à figure de macaque trop gras, venait de leur apporter, sur un plateau de vermeil, une dînette qu’elles ne songeaient pas à toucher.

En bas, dans la salle à manger, leur commune aïeule, le pacha, père de la mariée, et mademoiselle Bonneau de Saint-Miron, soupaient sans causerie, dans un silence de catastrophe. L’aïeule, plus que jamais outrée par l’attitude de la fille de sa fille, savait bien à qui s’en prendre, accusait l’éducation nouvelle et l’institutrice ; cette petite, née de son sang d’impeccable