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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/73

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Marmara à la Mer Noire, pour dire aux habitants : « Dormez, dormez, nous sommes là, nous, l’œil au guet jusqu’au matin, épiant les voleurs ou l’incendie. »

Les jeunes filles, par instants, oubliaient que cette soirée était la dernière. Comme il arrive à la veille des grands changements de la vie, elles se laissaient illusionner par la tranquillité des choses depuis longtemps connues : dans cette chambre, tout restait à sa place et gardait son aspect de toujours… Mais les rappels ensuite leur causaient chaque fois la petite mort : demain, la séparation, la fin de leur intimité de sœurs, l’écroulement de tout le cher passé !

Oh ! ce demain, pour la mariée !… Ce jour entier, à jouer la comédie, ainsi que l’usage le commande, et à la jouer bien, coûte que coûte ! Ce jour entier, à sourire comme une idole, sourire à des amies par douzaines, sourire à ces innombrables curieuses qui, à l’occasion des grands mariages, envahissent les maisons. Et il faudrait trouver des mots aimables, recevoir bien les félicitations ; du matin au soir, montrer à toutes un air très heureux, se figer cela sur les lèvres, dans le regard, malgré le dépit et la terreur… Oh ! oui, elle sourirait quand même ! Sa fierté l’exigeait du reste : paraître là comme une vaincue, ce serait trop humiliant pour elle, l’insoumise, qui s’était tant vantée de ne se laisser marier qu’à son gré, qui avait tant prêché aux autres la croisade féministe… Mais sur quelle ironique et