Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

dure journée se lèverait le soleil demain !… « Et si encore, disait-elle, le soir venu, cela devait finir… Mais non, après, il y aura les mois, les ans, toute la vie, à être possédée, piétinée, gâchée par ce maître inconnu ! Oh ! songer qu’aucun de mes jours, ni aucune de mes nuits ne m’appartiendra plus, et cela à cause de cet homme qui a eu la fantaisie d’épouser la fille d’un maréchal de la Cour !… »

Les cousines gentilles et douces, la voyant frapper du pied nerveusement, demandèrent, comme diversion, que l’on fît de la musique, une dernière et suprême fois… Alors elles se rendirent ensemble dans le boudoir où le piano était resté ouvert. Là, c’était un amas d’objets posés sur les tables, sur les consoles, les tapis, et qui disaient l’état d’esprit de la musulmane moderne, si avide de tout essayer dans sa réclusion, de tout posséder, de tout connaître. Il y avait jusqu’à un phonographe (l’ultime perfectionnement de la chose cette année-là) dont elles s’étaient amusées quelques jours, s’initiant aux bruits d’un théâtre occidental, aux fadaises d’une opérette, aux inepties d’un café concert. Mais, ces bibelots disparates, elles n’y attachaient aucun souvenir ; où le hasard les avait placés, ils resteraient comme choses de rebut, pour la plus grande joie des eunuques et des servantes.

La fiancée, assise au piano, hésita d’abord, puis se mit à jouer