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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/89

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me dit-elle. Tu oublies sans doute que tu devras être prête à neuf heures. On ne dort pas ainsi, le jour de son mariage. »

Que de dureté dans l’accent ! C’était la dernière matinée que je passais chez elle, dans ma chère chambre de jeune fille. Ne pouvait-elle s’abstenir d’être sévère, ne fût-ce qu’un seul jour ? En ouvrant les yeux, je vois mes cousines, qui se sont déjà levées sans bruit et qui mettent leur tcharchaf ; c’est pour rentrer vite au logis, commencer leur toilette qui sera longue. Jamais plus nous ne nous éveillerons là, ensemble, et nous échangeons encore de grands adieux. On entend les hirondelles chanter à cœur joie ; on devine que dehors le printemps resplendit ; une claire journée de soleil se lève sur mon sacrifice. Je me sens comme une noyée, à qui personne ne voudra porter secours.

Bientôt, dans la maison, un vacarme d’enfer. Des portes qui s’ouvrent et qui se ferment, des pas empressés, des bruits de traînes de soie. Des voix de femmes, et puis les voix de fausset des nègres. Des pleurs et des rires, des sermons et des plaintes. Dans ma chambre, entrées et sorties continuelles:les parentes, les amies, les esclaves, toute une foule qui vient donner son avis sur la manière de coiffer la mariée. De temps à autre un grand nègre de service rappelle à l’ordre et supplie qu’on se dépêche.

Voici neuf heures ; les voitures sont là; le cortège attend, la belle— mère, les belles-sœurs, les invitées du jeune bey. Mais la mariée n’est pas prête. Les dames qui l’entourent s’empressent alors de lui offrir leurs services. Mais c’est leur présence justement qui complique tout. À la fin, nerveuse, elle les remercie et demande qu’on lui laisse place. Elle se coiffe elle-même, passe fiévreusement sa robe garnie de fleurs d’oranger, qui a trois mètres de queue, met ses diamants, son voile et les longs écheveaux de fils d’