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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/88

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du reste que le temps était tout proche et inévitable où ce maître, au lieu de la saluer courtoisement le soir, la suivrait dans sa chambre. Elle ne tenterait aucune résistance, ni surtout aucune prière. Elle avait fait de sa personnalité cette sorte de dédoublement coutumier à beaucoup de jeunes femmes turques de son âge et de son monde, qui disent : « Mon corps a été livré par contrat à un inconnu, et je le lui garde parce que je suis honnête : mais mon âme, qui n’a pas été consultée, m’appartient encore, et je la tiens jalousement close, en réserve pour quelque amant idéal… que je ne rencontrerai peut-être point, et qui, dans tous les cas, n’en saura sans doute jamais rien. »

Donc, elle est seule chez elle, tout l’après-midi, la jeune mariée.

Aujourd’hui, en attendant que l’ennemi rentre d’Yldiz, l’idée lui vient de continuer pour André son journal interrompu, et de le reprendre à la date fatale du 28 Zil-hidjé 1318 de l’hégire, jour de son mariage. Les anciens feuillets du reste lui reviendront demain : elle les a redemandés à l’amie qui en était chargée, trouvant ce nouveau bureau assez sûr pour les déposer là. Et elle commence d’écrire :

"Le 28 Zil-hidjé 1318 (19 avril 1901, à la franque).

C’est ma grand-mère en personne qui vient me réveiller. (Cette nuit-là, je m’étais endormie si tard !…) « Dépêche-toi,