On me conduit en bas, dans le plus grand des salons où je trouve réunie toute la famille. Mon père d’abord, à qui je dois faire mes adieux. Je lui baise les mains. Il me dit des choses de circonstance que je n’entends point. On m’a bien recommandé de le remercier ici, publiquement, de toutes ses bontés passées et surtout de celle d’aujourd’hui, de ce mariage qu’il me fait faire… Mais cela, non, c’est au-dessus de mes forces, je ne peux pas. Je reste devant lui, muette et glacée, détournant les yeux, pas un mot ne sort de mes lèvres. Il a conclu le pacte, il m’a livrée, perdue, il est responsable de tout. Le remercier, quant au fond de moi-même je le maudis !… Oh ! c’était donc possible, cette chose affreuse : sentir tout à coup que l’on en veut mortellement à l’être qu’on a le plus chéri !… Oh ! la minute atroce, celle où l’on passe de l’affection la plus tendre à de la haine toute pure… Et je souriais toujours, André, parce que ce jour-là, il faut sourire…
Pendant que de vieux oncles me donnent leur bénédiction, les dames du cortège, qui prenaient des rafraîchissements dans le jardin sous les platanes, commencent de mettre leur tcharchaf.
La mariée seule peut ne pas mettre le sien ; mais les nègres tiennent des draperies en soie de damas, pour lui faire comme un corridor et la rendre invisible aux gens de la rue, entre la porte de la maison et le landau fermé dont les glaces sont masquées par des panneaux de bois à petits trous. Il est l’heure de partir, et je franchis ce couloir de soie tendue. Zeyneb et Mélek, mes demoiselles d’honneur, toutes deux en domino bleu par-dessus leur toilette de gala, me suivent, montent avec moi, — et nous voici dans une caisse bien close, impénétrable aux regards.
Après la « mise en voiture », qui me fait l’effet d’une mise en bière, un grand moment se passe. Ma belle-mère, mes belles-sœurs qui étaient venues me chercher, n’ont pas fini leur verre de sirop et retardent tout le départ…