Aller au contenu

Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Damas pour ne pas faire gagner les marchands de Lyon qui sont des infidèles… De temps à autres, quand passe une invitée de distinction, je dois me lever, pour lui rendre sa révérence (1) aussi profonde qu’il lui a plu de me la faire, et si c’est une jeune, la prier de prendre place un instant à mes côtés.

(1) Le Téménah.

En vérité, je crois que maintenant je commence à m’amuser pour tout de bon, comme si l’on défilait pour une autre, et que je ne fusse point en cause. C’est que le spectacle vient de changer soudain, et, du haut de mon trône, je suis si bien placée pour n’en rien perdre : on a ouvert toutes grandes les portes de la rue ; entre qui veut ; invitée ou pas, est admise toute femme qui a envie de voir la mariée. Et il en vient de si extraordinaires, de ces passantes inconnues, toutes en tcharchaf, ou en yachmak, toutes fantômes, le visage caché suivant la mode d’une province ou d’une autre. Les antiques maisons grillées et regrillées d’alentour se vident de leurs habitantes ou de leurs hôtesses de hasard, et les étoffes anciennes sont sorties de tous les coffres. Il vient des femmes enveloppées de la tête aux pieds dans des soies asiatiques étrangement lamées d’argent ou d’or ; il vient des Syriennes éclatantes et des Persanes toutes drapées de noir ; il passe jusqu’à des vieilles centenaires courbées sur des bâtons. « La galerie des costumes », me dit tout bas Mélek, qui s’amuse aussi.

À quatre heures, arrivée des dames européennes : ça, c’est l’épisode le plus pénible de la journée. On les a retenues longtemps au buffet, mangeant des petits fours, buvant du thé ou même fumant des cigarettes ; mais les voilà qui s’avancent en cohorte vers le trône de la bête curieuse.

Il faut vous dire, André, qu’il y a presque toujours avec