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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/99

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qui m’entourent ; toutes ces fleurs, dans les grands vases, répandent soudainement des parfums dont je suis grisée, et les lustres de cristal rayonnent comme des astres. Est-ce de fatigue ou d’extase, je ne sais plus ; mais ma tête tourne. Je ne vois plus personne, ni ce qui se passe autour de moi ; et tout m’est égal, parce que je sens à présent qu’un jour, sur la route de ma vie, je trouverai l’amour, et tant pis si j’en meurs !…

Un moment après, un moment ou longtemps, je ne sais pas, ma cousine Djavidé, celle qui a ce matin « frappé » son bonheur sur ma tête, s’avance vers moi :

« Mais tu es toute seule ! Les autres sont descendues pour le souper et elles attendent. Que peux-tu bien faire de si absorbant ? »

C’est pourtant vrai, que je suis seule, et le salon vide… Parties, les autres ?… Et quand donc ?… Je ne m’en suis pas aperçue.

Djavidé est accompagnée du nègre qui doit porter ma traîne et crier sur mon passage : « Destour ! » pour faire écarter la foule. Elle prend mon bras, et, tandis que nous descendons l’escalier, me demande tout bas :

"Je t’en prie, ma chérie, dis-moi la vérité. À qui pensais-tu, quand je suis montée ?

— À André Lhéry.

— À André Lhéry !… Non !… Tu es folle, ou tu t’amuses de moi… À André Lhéry ! Alors c’était vrai, ce qu’on m’avait conté de ta fantaisie… (Elle riait maintenant, tout à fait rassurée.)—Enfin, avec celui-là, au moins, on est sûr qu’il n’y a pas de rencontre à craindre… Mais moi, à ta place, je rêverais mieux encore:ainsi, tiens, je me suis laissé dire que dans la lune on trouvait des hommes charmants… Il faudra creuser cette idée, ma chérie; un Lunois, tant qu’à faire, il me semble que, pour une petite maboul comme toi, ce serait plus indiqué."

Nous avons une vingtaine de marches à descendre, très