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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/100

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regardées par celles qui nous attendent au bas de l’escalier:nos queues de robe, l’une blanche, et l’autre mauve, réunies à présent entre les mains gantées de ce singe. Par bonheur, son Lunois, à ma chère Djavidé, son Lunois si imprévu me fait rire comme elle, et nous voici toutes deux avec la figure qu’il faut, pour notre entrée dans les salles du souper.

Sur ma prière, il y a tablée à part pour les jeunes ; autour de la mariée, une cinquantaine de convives au-dessous de vingt-cinq ans, et presque toutes jolies. Sur ma prière aussi, la nappe est couverte de roses blanches, sans tiges ni feuillage, posées à se toucher. Vous savez, André, que de nos jours, on ne dresse plus le couvert à la turque ; donc, argenterie française, porcelaine de Sèvres et verrerie de Bohême, le tout marqué à mon nouveau chiffre; notre vieux faste oriental, à ce dîner de mariage, ne se retrouve plus guère que dans la profusion des candélabres d’argent, tous pareils, qui sont rangés en guirlande autour de la table, se touchant comme les roses. Il se retrouve aussi, j’oubliais, dans la quantité d’esclaves qui nous servent, cinquante pour le moins, rien que pour notre salle des jeunes, toutes Circassiennes, admirablement stylées, et si agréables à regarder : des beautés blondes et tranquilles, évoluant avec une sorte de majesté native, comme des princesses !

Parmi les jeunes Turques assises à ma table, —presque toutes d’une taille moyenne, d’une grâce frêle, avec des yeux bruns, —les quelques dames du palais impérial qui sont venues, les « Saraylis », se distinguent par leur stature de déesse, leurs admirables épaules et leurs yeux couleur de mer : des Circassiennes encore, celles-ci, des Circassiennes de la montagne ou des champs, filles de laboureur ou de berger, achetées toutes petites pour leur beauté, ayant fait leurs années d’esclavage dans quelque sérail, et puis d’un coup de baguette devenues grandes dames