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MADAME CHRYSANTÈME

tageusement connus, on imagine de jeter un plancher volant par-dessus le petit lac, par-dessus le bassin à poissons rouges, et c’est là qu’on nous sert, dans la fraîcheur agréable du jet d’eau qui continue de bruire sous nos pieds.

Après dîner, nous suivons les fidèles et nous remontons au temple.

Là-haut, même féerie, mêmes masques, même musique. Comme avant-hier, nous nous asseyons sous un tendelet quelconque pour boire des petits sorbets drôles, parfumés aux fleurs. Mais nous sommes seuls ce soir, et l’absence de cette bande de mousmés, aux minois familiers, qui étaient comme un trait d’union entre ce peuple en fête et nous-mêmes, nous sépare, nous isole davantage de toute cette débauche d’étrangetés au milieu de laquelle nous nous sentons comme perdus. Il y a toujours là-bas l’immense décor bleuâtre : Nagasaki éclairé par la lune, avec la nappe argentée des eaux qui semble une vision vaporeuse suspendue dans le vide. Et derrière nous, le grand temple ouvert où les bonzes officient au bruit des grelots sacrés et des claquebois, — pareils à de petites marionnettes, vus d’où nous sommes,