Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/144

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meurs, c’était un lac d’eau noire qui roulait de droite et de gauche, entraînant des vêtements souillés, des morceaux de pain ou de biscuit, des soupes chavirées, toute sorte de détritus et de déjections immondes. Et, de temps en temps, on voyait des hommes hâves, défaits, demi-nus, grelottants avec leur chemise mouillée, qui erraient sous ces rangées de hamacs gris, cherchant le leur, eux aussi, cherchant leur pauvre couchette suspendue, leur seul gîte un peu chaud, un peu sec, où ils allaient trouver une espèce de repos. Ils passaient en titubant, s’accrochant pour ne pas tomber, et heurtant de la tête ceux qui dormaient : chacun pour soi en pareil cas, on ne prend plus garde à personne. Leurs pieds glissaient dans les flaques d’eau et d’immondices ; ils étaient insouciants de leur malpropreté comme les animaux en détresse.


Une buée lourde à respirer emplissait cette batterie ; toutes ces ordures qui roulaient par terre donnaient l’impression d’un repaire de bêtes malades, et on sentait cette puanteur âcre qui est particulière aux bas-fonds des navires pendant les mauvais jours de la mer.