Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/19

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lointains de la rade étaient noyés dans un brouillard blanchâtre fait d’embruns et de pluie.

Les matelots permissionnaires montaient en courant, sortaient des panneaux et venaient s’aligner, à mesure qu’on appelait leur numéro et leur nom, la figure illuminée par cette grande joie de revoir Brest. Ils avaient mis leurs beaux habits du dimanche ; ils achevaient, sous l’ondée torrentielle, des derniers détails de toilette, s’ajustant les uns les autres avec des airs de coquetterie.

Quand on appela : « 218 : Kermadec ! » on vit paraître Yves, un grand garçon de vingt-quatre ans, à l’air grave, portant bien son tricot rayé et son large col bleu.

Grand, maigre de la maigreur des antiques, avec les bras musculeux, le col et la carrure d’un athlète, l’ensemble du personnage donnant le sentiment de la force tranquille et légèrement dédaigneuse. Le visage incolore, sous une couche uniforme de hâle brun, je ne sais quoi de breton qui ne se peut définir, avec un teint d’Arabe. La parole brève et l’accent du Finistère ; la voix basse, vibrant d’une manière particulière, comme ces instruments aux sons très puissants, mais