Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/20

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qu’on touche à peine de peur de faire trop de bruit.

Les yeux gris-roux, un peu rapprochés et très renfoncés sous l’arcade sourcilière, avec une expression impassible de regard en dedans ; le nez très fin et régulier ; la lèvre inférieure s’avançant un peu, comme par mépris.

Figure immobile, marmoréenne, excepté dans les moments rares où paraît le sourire ; alors tout se transforme et on voit qu’Yves est très jeune. Le sourire de ceux qui ont souffert : il a une douceur d’enfant et illumine les traits durcis, un peu comme ces rayons de soleil, qui, par hasard, passent sur les falaises bretonnes.

Quand Yves parut, les autres marins qui étaient là le regardèrent tous avec de bons sourires et une nuance inusitée de respect.

C’est qu’il portait pour la première fois, sur sa manche, le double galon rouge des quartiers-maîtres qu’on venait de lui donner. Et, à bord, c’est quelqu’un, un quartier-maître de manœuvre ; ces pauvres galons de laine, qui, dans l’armée, arrivent si vite au premier venu, dans la marine représentent des années de misères ; ils représentent la force et la vie des jeunes hommes, dépensées