Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/205

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fallait bien lui laisser sa joie, comme aux enfants.

D’ailleurs, lui aussi allait partir ; deux jours après moi, il devait rejoindre Brest, pour s’embarquer de nouveau. Ce n’était qu’un tout petit repos dans notre vie, ce séjour en Toulven, qu’un petit entr’acte de Bretagne après lequel notre métier de mer nous attendait.

… Nous fûmes bientôt au milieu des bois ; plus de sentiers ni de chaumières ; rien que des collines se succédant au loin, couvertes de hêtres, de broussailles, de chênes et de bruyères. Et des fleurs, une profusion de fleurs ; tout ce pays était fleuri comme un éden : des chèvrefeuilles, de grands asphodèles en quenouilles blanches et des digitales en quenouilles roses.

Dans le lointain, le chant des coucous dans les arbres, et, autour de nous, des bruits d’abeilles.

Les luzes croissaient çà et là, sur le sol pierreux, mêlées aux bruyères fleuries. Anne trouvait toujours les plus belles, et m’en donnait à pleine main. Et le grand Yves nous regardait faire avec un sourire très grave, ayant conscience de jouer, pour la première fois, une espèce de rôle de mentor et s’en trouvant très surpris.