Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/214

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espèce d’acuité douloureuse tous ces bruits déjà familiers des matins d’hiver qui montaient de la rue, voix noyées d’alcool et grouillements de sabots. C’était dans une de ces vieilles maisons hautes d’étages, profondes, immenses, avec des cours noires, des murs de granit brut, épais comme des remparts, renfermant toute sorte de monde, ouvriers, vétérans, marins ; au moins trente ménages d’ivrognes. Il y avait quatre mois — depuis qu’Yves était revenu des Antilles — qu’elle avait quitté Toulven pour venir habiter là.

Une clarté plus blanche entrait par les vitres, tombait sur ces murs délabrés et sordides, pénétrait peu à peu toute cette grande chambre, où leur modeste petit ménage aujourd’hui en désordre semblait perdu. — Décidément c’était le jour ; elle alla, par économie, souffler sa chandelle, et puis revint s’asseoir.

Qu’allait-elle faire de sa journée ? travaillerait-elle aujourd’hui ? Non, elle n’en avait pas le courage, et puis à quoi bon ?

Encore un jour qu’il faudrait passer sans feu, avec la mort dans le cœur, à regarder tomber la pluie et à attendre !… Attendre, attendre avec une