Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/244

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arsenaux de la marine de guerre pendant les nuits, surtout pendant les nuits de fête. Aux approches du coup de canon de retraite, tout le monde s’enfuit comme d’un lieu pestiféré ; des milliers d’hommes sortent de partout, grouillant comme des fourmis, se hâtant vers les portes. Les derniers courent, pris d’une frayeur d’arriver trop tard et de trouver les grilles fermées. Le calme se fait. Et puis, la nuit, plus personne, plus rien.

De loin en loin, une ronde passe, hélée par les sentinelles et disant tout bas les mots convenus. Et puis le peuple silencieux des rats débouche de tous les trous, prend possession des navires déserts, des chantiers vides.

De garde à bord depuis la veille, je m’étais endormi très tard, dans ma chambre glaciale aux murailles de fer. J’étais inquiet d’Yves, et, cette nuit-là, ces chants, ces cris de matelots, qui m’arrivaient de très loin, des mauvais quartiers de la ville, m’apportaient une tristesse.

Marie et le petit Pierre étaient à faire leur voyage à Plouherzel en Goëlo, et lui, Yves, avait voulu quand même passer cette soirée à terre dans Brest, pour fêter le nouvel an avec d’anciens amis.