Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/249

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arrivant des basses rues de Brest. — Et, en bas, dans le poste de l’équipage, la voix des matelots de garde criant à intervalles réguliers les nombres du loto avec toujours ces mêmes plaisanteries de bord, qui sont très vieilles et qui les font rire :

— 22, les deux fourriers à la promenade !

— 33, les jambes du maître coq !

Et mon pauvre Yves était au-dessous d’eux, à fond de cale, dans l’obscurité, étendu sur les planches par ce grand froid avec la boucle au pied.

Que faire ?… Donner l’ordre de le mettre en liberté et de me l’envoyer ? Je devinais parfaitement ce qu’elle pourrait être, cette entrevue : lui debout, impassible, farouche, m’ôtant très respectueusement son bonnet, et me bravant par son silence, en détournant les yeux.

Et puis, s’il refusait de venir, — et il en était très capable en ce moment, — alors… ce refus d’obéissance… comment le sauver de là ensuite ? comment le tirer de ce gâchis que j’aurais été commettre entre nos affaires à nous et les choses aveugles de la discipline ?…

Maintenant, la nuit tombait, et il y avait près de