Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/25

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jours, et, avec une grande joie, il irait la surprendre et l’embrasser.

Les secousses de la mer, la vitesse et le vent, rendaient incohérentes ses pensées qui changeaient. Maintenant il s’inquiétait de retrouver son pays sous un jour si sombre. Là-bas, il s’était habitué à cette chaleur et à cette limpidité bleue des tropiques, et, ici, il semblait qu’il y eût un suaire jetant une nuit sinistre sur le monde.

Et puis aussi il se disait qu’il ne voulait plus boire, non pas que ce fût bien mal après tout, et, d’ailleurs, c’était la coutume pour les marins bretons ; mais il me l’avait promis d’abord, et ensuite, à vingt-quatre ans, on est un grand garçon revenu de beaucoup de plaisirs, et il semble qu’on sente le besoin de devenir un peu plus sage.

Alors il pensait aux airs étonnés qu’auraient les autres à bord, surtout Barrada, son grand ami, en le voyant rentrer demain matin, debout et marchant droit. À cette idée drôle, on voyait tout à coup passer sur sa figure mâle et grave un sourire d’enfant.

Ils étaient arrivés presque sous le château de Brest, et, à l’abri des énormes masses de granit, il