Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/26

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se fit brusquement du calme. La chaloupe ne dansait plus ; elle allait tranquillement sous la pluie ; ses voiles étaient amenées, et les hommes habillés de toile cirée jaune la menaient à coups cadencés de leurs grands avirons.

Devant eux s’ouvrait cette baie profonde et noire qui est le port de guerre ; sur les quais, il y avait des alignements de canons et de choses maritimes à l’air formidable. On ne voyait partout que de hautes et interminables constructions de granit, toutes pareilles, surplombant l’eau noire et s’étageant les unes par-dessus les autres avec des rangées symétriques de petites portes et de petites fenêtres. Au-dessus encore, les premières maisons de Brest et de Recouvrance montraient leurs toits mouillés, d’où sortaient de petites fumées blanches ; elles criaient leur misère humide et froide, et le vent s’engouffrait partout avec un grand bruit triste.

La nuit tombait tout à fait et les petites flammes du gaz commençaient à piquer de brillants jaunes ces amoncellements de choses grises. Les matelots entendaient déjà les roulements des voitures et les bruits de la ville qui leur arrivaient d’en