Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/321

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puis maintenant des choses lointaines se dessinent devant en grandes ombres noires : des tours colossales, des montagnes éboulées, des palais, des Babels !

On sent comme un voile de ténèbres s’appesantir sur les sens ; la notion du réel est perdue. Il vous vient comme l’impression de cités apocalyptiques, de nuées lourdes de sang, de malédictions suspendues. C’est la conception des épouvantes gigantesques, des anéantissements chaotiques, des fins de monde…

Une minute de sommeil intérieur qui vient de passer, malgré toute volonté ; un rêve de dormeur debout qui s’est envolé très vite.

Mirage !… À présent, c’est fini, et la lune est couchée. Il n’y avait rien là-bas que la mer infinie, et les vapeurs errantes, annonçant l’approche du matin ; maintenant que la lune n’est plus derrière, on ne les distingue même pas. Tout vient de s’évanouir, et on retrouve la nuit, la vraie nuit, toujours pure et tranquille.

Ils sont bien loin de nous, ces pays de l’Apocalypse ; car nous sommes dans la mer de Corail, sur l’autre face du monde, et il n’y a rien ici que