Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/325

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ven ; c’était lui qui, du haut du navire équivoque, tenait l’amarre qu’on venait de me lancer. Et je fus saisi de cette figure, de ce regard déjà connu ; c’était un autre Yves, moins jeune, encore plus basané et plus athlétique peut-être, — les traits plus durs, ayant plus souffert ; — mais il avait tellement ses yeux, son regard, que c’était comme un dédoublement de lui-même qui m’impressionnait.

Quelquefois j’avais pensé, en effet, que nous pourrions le rencontrer, ce frère Goulven, sur quelqu’un de ces baleiniers que nous trouvions, de loin en loin, dans les mouillages du Grand-Océan, et que nous arraisonnions quand ils avaient mauvais air.

J’allai à lui d’abord, sans m’inquiéter du capitaine, qui était un énorme Américain, à tête de pirate, avec une longue barbe épaisse comme le goémon. J’entrais là comme en pays conquis, et les convenances m’importaient peu.

— C’est vous, Goulven Kermadec ?

Et déjà je m’avançais en lui tendant la main, tant j’en étais sûr.

Mais lui blanchit sous son hâle brun, et recula. Il avait peur.

Et, par un mouvement sauvage, je le vis qui ras-