Page:Loti - Mon frère Yves, 1893.djvu/348

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cula et on entendit le bruit sourd d’un grand remous dans les eaux.

Le Primauguet continuait de courir, et le corps de Barazère était tombé dans ce gouffre, immense en profondeur et en étendue, qui est le Grand-Océan.

Alors, tout bas, comme un reproche, je répétai à Yves qui était près de moi, la phrase de la veille :

— Les hommes, c’est comme les bêtes : on en fait d’autres, mais…

— Oh ! répondit-il, ce n’est pas moi qui ai dit cela ; c’est lui. (Lui — c’est-à-dire Barrada, — l’entendit et tourna la tête vers nous. Il pleurait à chaudes larmes.)

Cependant on regardait derrière avec inquiétude, dans le sillage : c’est qu’il arrive, quand le requin est là, qu’une tache de sang remonte à la surface de la mer.

Mais non, rien ne reparut ; il était descendu en paix dans les profondeurs d’en dessous.

Descente infinie, d’abord rapide comme une chute ; puis lente, lente, alanguie peu à peu dans les couches de plus en plus denses. Mystérieux voyage de plusieurs lieues dans des abîmes incon-